Que rien ne te trouble,
Que rien ne t'épouvante.
Tout passe,
Dieu ne change pas.
La patience
obtient tout.
Celui qui a Dieu,
Rien ne lui manque.
Dieu seul suffit
Dieu ne force pas notre volonté ; il prend ce que nous lui donnons. Mais il ne se donne pas complètement, tant que nous ne nous sommes pas, nous aussi,
donnés à lui complètement. Voilà un fait certain.
Considérez ce que dit saint Augustin. Après avoir cherché Dieu en beaucoup d'endroits, il le trouva au-dedans de lui-même... Donc, inutile de pousser des cris pour
lui parler, car il est tellement près que, si bas qu'on lui parle, il entend... Traitez avec lui comme avec un père, un frère, un maître, un époux. Considérez-le tantôt sous un rapport, tantôt
sous un autre. Il vous enseignera lui-même ce que vous devez faire.
Cette manière de prier, bien que vocale, aide l'esprit à se recueillir beaucoup plus rapidement que toute autre, et produit les biens les plus précieux. On
l'appelle oraison de recueillement, parce que l'âme y recueille toutes ses facultés et rentre au-dedans d'elle-même avec son Dieu. Là, son maître divin réussit plus tôt que par tout autre moyen à
l'instruire et à lui donner l'oraison de quiétude.
Lorsque le recueillement est véritable, on le voit très clairement à un certain effet qu'il produit. Je ne sais comment vous le donner à entendre ; mais
quiconque l'aura éprouvé me comprendra. On dirait que l'âme, comprenant enfin que les choses de ce monde ne sont qu'un jeu, se lève au meilleur moment, et s'en va. Elle ressemble encore
à un homme qui se réfugie dans une place forte pour n'avoir plus à redouter les attaques de l'ennemi.
L'oraison de quiétude est une chose surnaturelle, au-dessus de tous nos efforts, quels qu'ils soient. L'âme entre alors dans la paix, ou, pour mieux dire, le
Seigneur l'y met par sa présence. Toutes ses facultés sont en repos, et, sans le moindre secours des sens, elle sent qu'elle est tout près de son Dieu, et que, pour peu qu'elle s'en approchât
davantage, elle deviendrait par l'union une même chose avec lui ; mais elle ne le voit ni des yeux du corps, ni des yeux de l'âme...
Elle voit seulement qu'elle est dans le royaume, ou du moins près du roi qui doit le lui donner, et elle se sent pénétrée d'un tel respect qu'elle n'ose rien lui
demander. C'est comme un engourdissement des facultés intérieures et extérieures... Le corps éprouve une délectation profonde, et l'âme un bonheur égal. Celle-ci est si heureuse de se voir près
de la fontaine, qu'avant même de s'y désaltérer, elle est déjà rassasiée. Elle pense qu'elle n'a plus rien à désirer... L'entendement ne voudrait plus comprendre qu'une chose, la mémoire n'en
renfermer plus qu'une seule ; tous deux voient que celle-là seule est nécessaire, et que toute le reste ne saurait que les troubler.
Ceux qui sont dans cet état se trouvent dans le palais du roi et voient qu'il commence à leur faire don, dès ici-bas, de son royaume... Rien ne les peine, et rien
non plus, me semble-t-il, ne peut les peiner...
Comme il ne dépend pas de nous que le jour se lève, ni ne pouvons empêcher la nuit d'arriver, de même cette faveur n'est-elle pas en notre
pouvoir... Il est bon alors de rechercher une plus grande solitude pour donner plus de liberté d'action au Seigneur et laisser sa Majesté travailler notre âme à sa guise. Il faut tout au
plus prononcer de temps en temps une parole douce comme le souffle qui ranime la bougie éteinte, mais qui, je crois, suffirait à l'éteindre si elle brûlait encore.
L'âme est alors comme l'enfant à la mamelle qui, reposant sur le sein de sa mère, reçoit, sans avoir besoin de téter, le lait que celle-ci lui fait couler dans la
bouche pour le régaler... Elle doit s'oublier alors elle-même ; car celui qui est près d'elle ne manquera pas de pourvoir à ce qui lui convient... Elle ne doit pas se préoccuper si l'entendement,
ou, pour être plus claire, si notre pensée se porte aux rêveries les plus insensées. Qu'elle se contente d'en rire, et le regarde comme un fou. Qu'elle reste dans sa quiétude, tandis que
l'entendement va et vient. La volonté est ici souveraine et toute-puissante. Elle le ramènera, sans courir après lui. Si elle voulait le ramener par la violence, elle perdrait l'ascendant qu'elle
a sur lui et qu'elle puise dans l'aliment divin dont elle se nourrit.
La différence qu'il y a entre cette oraison de quiétude et celle où l'âme est complètement unie à Dieu, c'est que dans celle-ci elle n'a même pas besoin d'avaler la
nourriture. Elle la trouve au-dedans d'elle-même, sans comprendre comment le Seigneur l'y a mise. Dans l'oraison de quiétude, au contraire, le Seigneur semble lui laisser un peu de travail à
faire par elle-même, bien que ce travail soit accompagné de tant de paix qu'elle ne le sent pour ainsi dire point.
Extraits du Chemin de la perfection (Éd. du Seuil)