« Ajoutons encore que la mise en cause de l’existence de l’ego en tant qu’entité séparée doit, pour être effective et donc dangereuse du point de vue du mécanisme de la séparation, se faire pour ainsi dire «sur pièces» et non dans quelque royaume purement conceptuel.
Je veux dire par là que les enseignants qui, avec plus ou moins de talent et d’authenticité serinent à longueur de conférences et autres partages la «vérité métaphysique» de la non-existence de l’ego ne dérangent en fin de compte personne. Au fil de mes quelques trente-cinq années de cheminement, et plus encore ces dix dernières années, j’ai entendu beaucoup de personnes me déclarer qu’elles optaient désormais pour la «voie directe», celle consistant à de suite mettre en cause l’existence même de l’ego plutôt que de s’égarer dans une exploration sans fin de ses fonctionnements et mécanismes. Cette affirmation était en général emprunte d’une condescendance à l’égard de tous les pauvres chercheurs n’ayant pas encore, on se demande d’ailleurs bien pourquoi, opté pour la «voie directe» de préférence aux chemins «indirects». J’ai souvent été frappé de constater que la plupart de ces adeptes de la voie dite «directe» me paraissaient coupés de leur ressenti, fort peu enclins à regarder en face les faiblesses et contradictions bien ordinaires de leur humanité, autrement dit leur propre souffrance, et de ce fait d’autant plus empressés à proclamer de manière dogmatique et parfois agressive la supériorité de leur approche implicitement considérée comme supérieure à toutes les autres, voire comme la seule et unique voie digne de ce nom.
Admettre intellectuellement la non-existence de l’ego en tant que « moi possesseur, contrôleur et séparé – pour peu qu’on aille jusqu’à ce degré de précision – est une chose ;
voir cette illusion s’affirmer dans notre relation à nous-mêmes et à nos proches à partir d’«échantillons» ordinaires, pour ne pas dire médiocres, en est une autre.
Oui, ces échantillons mettent en jeu notre «psychologie» ; et, non, les voir, les reconnaître et en tirer les leçons ne relève pas de la seule «thérapie» mais bien de la vie «spirituelle», pour peu que la perspective soit bien là.
Je pense ici à une fameuse histoire : deux hommes déplacent des pierres. À la question : «que faites vous ?», l’un répond, «je déplace des pierres», l’autre «je construis une cathédrale»."
Gilles Farcet
"Guérir l’ego ou guérir de l’ego ?"