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25 août 2014 1 25 /08 /août /2014 07:38

L’état naturel, c’est ce qui est là quand nous ne mettons plus l’accent sur aucun état. C’est la vie libre, sans entrave. La vie tout court. En réalité, il n’y a pas deux états. Il y a des états qui prennent place, qui s’incarnent dans un espace et c’est cet espace même que nous sommes. Quand l’accent n’est plus mis sur un état particulier, nous sentons la vraie vie. Pour des raisons de langage, on parle d’état mais en fait ce n’en est pas un. Si nous voyons bien cela, la question d’amener un état dans un autre état ne se pose plus. Il n’y a plus rien à importer. Il y a en nous un mouvement incessant, celui de vouloir importer quelque chose que l’on sent à un instant donné dans le moment à venir. Ce mouvement participe de la vie mécanique. Toujours vouloir transporter une intuition dans un moment à venir est une habitude. C’est la manière de vivre habituelle, et c’est cela qui est à voir. Curieusement, et même paradoxalement, dès l’instant où nous voyons ce mouvement intérieur de vouloir préserver un état particulier ou de chercher à le transporter laborieusement dans le futur, celui-ci s’arrête.
Nous nous demandons pourquoi après toutes ces années, tous ces livres spirituels, toutes ces belles et vibrantes intuitions sur la réalité de l’existence, nous sommes encore plongés dans cette vie habituelle, cette espèce de grisaille. C’est que le spectacle de la vie est tellement fascinant! C’est pour cette raison que nous allons passer deux heures dans une salle de cinéma. Nous perdons de vue totalement que nous sommes assis dans une salle, devant un écran ou strictement parlant, il ne se passe rien! Mais la succession d’images fixes et le lien que notre cerveau tisse entre chaque image sont tellement captivants! La lumière consciente n’est rien. Elle ne peut être perçue. Le champ est donc libre pour toutes les perceptions, et il est totalement rempli par ce que l’on peut appeler la vie mondaine. On est fasciné par deux heures de cinéma, et par quatre-vingt-cinq ans d’une vie. Ce n’est pas une erreur de vivre ainsi, mais nous constatons que cela nous fait vivre artificiellement.
Le fait de ne pas vivre de manière réelle est à la base de la souffrance humaine. Nous vivons de manière fausse, fallacieuse, au niveau de la raison fabriquée par la mémoire, par le cerveau. Rappelons-nous les débuts de notre carrière d’être humain. Qu’y avait-il? Que des perceptions. D’ailleurs, physiquement, les yeux étaient proportionnellement plus gros que le reste parce que nous étions tout regard, et nous étions aussi tout ouïe, toute oreille. Mais rapidement, les images s’accumulent. Elles laissent des traces dans la mémoire et le cerveau se dépêche de relier tout ça, de faire des corrélations entre les impressions naissantes. Très rapidement, nous construisons le monde. Et ce faisant, nous construisons un moi, un «je». On ne peut pas construire l’un sans construire l’autre. J’appelle cela le réseau fabriqué, celui de la raison.
À un moment donné, nous ne vivons plus qu’au niveau des mailles de ce réseau. Rarement, très rarement, parfois quand on reçoit un choc –ça peut être n’importe quand–, on se retrouve entre les mailles du réseau. Et là, il y a un instant inconcevable, impossible à mémoriser, mais qui va quand même laisser une trace dans la mémoire. C’est cette trace laissée dans la mémoire qui, confrontée au reste de notre vie habituelle, fait que nous réalisons que nous ne vivons pas la clarté: «mais mon dieu, je ne vis pas cette lumière, je vis dans le brouillard presque sans cesse!». C’est pour cette raison que nous questionnons notre manière d’être, au niveau du réseau fabriqué. C’est là que vient la question: «que faire?». C’est l’éternelle question. Mais il n’y a rien d’intelligent qui puisse être fait délibérément.

Qu’est-ce que je peux bien vouloir, si cela ne vient pas de ma mémoire? Quand on voit ça, c’est-à-dire l’inanité complète de vouloir entreprendre une nouvelle démarche, une nouvelle pratique y compris le fait de ne pas entreprendre de pratique, ce qui est également nul, quelque chose se détend, se dénoue. Les pratiques ne sont pas en cause, mais plutôt la façon automatique dont on fonctionne. Le cerveau est fait ainsi. Ce n’est d’ailleurs pas une erreur, il y a là une beauté immense. «L’univers se dévoile en se recouvrant»: Héraclite disait cela il y a très longtemps. Il nous vient un éclairage nouveau au moment on se rend compte que toutes les pratiques et les techniques sont généralement des tactiques pour en arriver à ne plus sentir ce qui est là. Car que sentons-nous? La misère, le mal-être. Et nous voulons retirer ça. Pourquoi? Parce que de toute évidence nous ne sommes pas cela. C’est la joie qui est le critère universel de tout ce que nous faisons, disons ou pensons. C’est par référence à cette joie indélébile en nous que nous voyons que nous ne vivons pas ça. Nous voulons alors faire quelque chose. Mais plus nous nous enfonçons dans une tactique pour ne plus sentir, plus nous nous éloignons de ce que nous cherchons.
Le seul dénouement possible est justement de sentir et d’arrêter de vouloir ne plus sentir. C’est le sens même de la démarche traditionnelle, si on peut utiliser ce mot, qui s’oriente vers le pur ressenti. Jean Klein a eu un choc, dit-on, au moment où il a réalisé qu’il n’y a rien à faire. C’est un choc extrêmement difficile à accepter pour le cerveau, car celui-ci est toujours en train de vouloir faire quelque chose. Nous ne pouvons pas sortir délibérément de ce fonctionnement. Le constat qui consiste à voir que nous fonctionnons de façon automatique ne vient pas d’une pratique. Il vient «comme ça»… de lui-même. C’est la vie qui nous obnubile, et c’est la vie qui nous éclaire. C’est la même vie qui nous fait recouvrir la réalité de la vie, et qui nous la fait re-découvrir. Et entre les deux, nous nous inquiétons, nous nous activons et nous agitons toujours au nom de ce que nous ne sommes pas.
Avant même que la question «que faire?» ne soit posée, ce qu’il y avait à faire a été fait, et ça n’a pas été fait par quelqu’un. Bien sûr, on aimerait que cette clarté puisse s’étendre à tous les éléments de sa vie qui ne participent pas de cet éclairage. Encore une fois, je suis tenté de dire qu’il n’y a rien à faire, mais cette réponse n’est pas satisfaisante. Alors on dit: «regardez». C’est cela qui est à faire: regarder. Considérer toute limitation. Il y a cette confrontation entre ce que nous sommes profondément, que l’on ne peut nier, et ce que nous croyons savoir de la vie, que l’on ne veut pas lâcher. La rencontre des deux est intolérable pour le cerveau. Nous sommes illimités. Aussi tout ce qui est limité dans le temps nous révolte. La peur de la mort, par exemple, est une révolte: «Non, ce n’est pas possible!» De là vient toute recherche de la liberté. Mais nous cherchons de façon maladroite, par des actions, dans une idéologie, dans les religions, la politique. L’autre jour, je suis tombé sur cette affirmation de Giordano Bruno qui résume cela merveilleusement:

«Viendra un jour où l’homme se réveillera de l’oubli et comprendra finalement et vraiment à qui il a cédé les rennes de son existence: à un mental fallacieux, mensonger, qui le rend et le maintient esclave… L’homme n’a pas de limites et quand, un jour, il s’en rendra compte, il sera libre même dans ce monde-ci.» 

 

Jean Bouchart D'Orval

 

https://www.facebook.com/pages/Jean-Bouchart-dOrval/211870622171967

Jean Bouchart D'Orval: "Le pur ressenti."

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