Il n’existe alors pas de véritable dérangement, car les dérangements sont aussi Cela qui médite. Les pensées, on les laisse venir, on les laisse aller. Essayer de les suivre c’est dissiper l’attention. Essayer de les réprimer c’est une forme de violence qui ne mène à rien. On traite les pensées comme un gaz. On ne peut arrêter le mouvement des molécules d’un gaz en le comprimant ; au contraire, le gaz s’échauffe alors et les molécules deviennent encore plus agitées. Que fait-on ? On lui donne de l’espace, tout l’espace. Le gaz en expansion voit le mouvement de ses molécules s’atténuer naturellement, sans violence. En physique, on parle de la détente d’un gaz. En méditation, la détente mentale consiste à offrir aux pensées tout l’espace, à les reconnaître comme Pur Espace. C’est la non-violence suprême.
L’attention méditative n’est pas une concentration où toute autre forme que celle qu’on a élue est exclue et chassée hors du champ de conscience. Elle est inclusive : le Même accueille toute perception comme un nouveau surgissement du Même. Les pensées récurrentes dénotent un état émotif non résolu. Cela aussi on l’accueille. C’est uniquement dans cette ouverture que l’émotion peut éventuellement perdre son caractère dramatique et se résorber. Mais on n’accueille pas dans l’espoir qu’elle va se résorber. Dans l’attention méditative, il n’y a aucun calcul, car il n’y a personne qui médite.
Pur Regard
C’est ainsi que le regard arrive à maturité. En fin de compte, il faut en arriver à oublier ce qui ressemble à des éléments techniques dans la méditation. Quand on sent l’invitation du sommeil profond, on se dépouille de ses vêtements, on se met au lit et on ferme les yeux. Que fait-on à ce moment précis ? On ne dort pas, on fait semblant de dormir. Et le sommeil vient de lui-même, sans être mis en demeure de se produire. De même, quand on sent l’invitation à méditer, on se dépouille de ses prétentions, on s’assied les yeux fermés et on fait semblant de méditer ; soudain la méditation est là.
La vision non duelle n’est pas un jeu pour quelques privilégiés. C’est notre héritage à tous. L’extinction de la souffrance passe par cette reconnaissance directe de « ce qui est ». Cela implique la capacité de n’être que regard sans intention, sans explication. Cette puissance d’attention permet d’accueillir sereinement les émotions, les désirs et les pensées en psalmodiant « Il y a l’Être ». Toutes ces modifications du Regard sont accueillies dans leur nature véritable, qui brille alors en toute clarté : Pur Regard. C’est dans ce désencombrement total que souffle le vent de la silencieuse paix du ravissement resplendissant.
Bouchart D’Orval.