"En tant qu'adulte, pourquoi je ne connais pas ma vraie nature ? Pourquoi ne suis-je pas ? Je veux dire : je suis assise ici : pourquoi ne suis-je pas consciente du « Je suis » et de ma vraie nature ?
C'est sans doute un réflexe profondément enraciné en vous, de vous prendre pour ce que vous n'êtes pas. L'éducation, l'expérience, les habitudes, la société, vous ont amenées à ce que vous êtes ; cela veut dire : je ne me sens pas réellement moi-même, ce que nous appelons en général moi-même...
En quelque sorte, vous vous en éloignez. Vous avez, certainement, des moments de bonheur et ces moments ne sont pas des états. C'est un non-état. Dans ces moments-là, vous ne pouvez pas dire « je suis heureux » ni nommer la cause du bonheur. Vous ressentez seulement votre être total, global dans ce bonheur. Le « je », l'idée d'être quelqu'un n'est pas du tout présent, en cet instant vous n'êtes personne. Mais quand vous en sortez immédiatement, votre mental le récupère, l'ego se l'approprie : la cause de ce bonheur était cette rencontre, cette belle maison, cette telle voiture, ou cette belle fleur. Le bonheur, dans ce moment même, est sans cause. Quand vous dites « Je suis heureux », c'est un état, vous n'êtes pas heureux. Dans le bonheur, vous êtes totalement bonheur, c'est aussi l'amour.
Les enfants viennent-ils au monde avec cette connaissance ? Je ne veux pas dire la connaissance acquise, mais avec l'amour total ? Viennent-ils de cette manière légère ?
Oui.
Et nous tous aussi ?
Oui, nous tous. Dans le ventre de notre mère, nous essayons de nous approprier, de prendre la nourriture ou les émotions de la mère, ou la nourriture que prend la mère. Une fois sorti du ventre de sa mère, l'enfant continue de s'approprier le monde. Comme cette appropriation appartient plus ou moins à la survie biologique, cela crée, d'une certaine façon, un moi subtil, un « je » subtil pour s'approprier le monde, mais c'est seulement une sorte d'outil, c'est comme notre foie ou nos poumons, c'est un outil, rien d'autre... L'enfant s'identifiant à vous, il est important qu'il se libère de cette fausse identification. L'enfant est en grande partie le résultat d'une éducation erronée. Je dirais que l'enfant doit être entouré de beauté, mais pas uniquement : voir, entendre, ressentir sont aussi très important. C'est la beauté qui construit l'enfant. C'est aussi par l'éducation, ce qu'on appelle « éducation », qu'il faut montrer à l'enfant comment regarder, non pas ce qu'il doit regarder, mais comment regarder. Parce que dans le regard vous êtes libre de la mémoire, dans le regard vous accueillez ce qui est regardé. Et un jour, quand vous arriverez à cette maturité, vous réaliserez que l'observateur est l'observé. Il est ce qu'il cherche."
Jean Klein