"Ici l'âme perd tout, Dieu et toutes les créatures. Ceci semble extraordinaire qu'il faille que l'âme perde aussi Dieu. J'affirme : en un sens il lui est même plus nécessaire, pour devenir parfaite, de perdre Dieu que la créature ! Toujours est-il qu'il faut que tout soit perdu, il faut que l'existence de l'âme soit établie sur un libre rien ! C'est d'ailleurs l'unique dessein de Dieu que l'âme perde son Dieu. Car aussi longtemps qu'elle a un Dieu, qu'elle connaît Dieu, qu'elle sait quelque chose de Dieu, elle est séparée de Dieu. Car que Dieu s'appelle Dieu, il le tient des créatures. Ce n'est que quand l'âme devint créature, qu'elle eut un Dieu. Or, tandis qu'elle se dépouille à nouveau de l'être "créature" : Dieu n'en demeure pas moins devant lui-même ce qu'il est. Et c'est le plus grand honneur que l'âme puisse faire à Dieu qu'elle l'abandonne à lui-même et se tienne vide de lui.
Dieu, ainsi s'exprime un maître païen, est tel que son non-être emplit le monde, et le lieu de son être n'est nulle part. L'âme ne trouvera donc pas l'être de Dieu à moins qu'elle n'ait elle-même où qu'elle puisse se trouver, cessé d'exister, comme quelque chose de créé ou d'incréé... Qui veut venir à Dieu, dit un maître, qu'il vienne comme un néant !"
Maître Eckhart